les oeufs vont devenir poussin
Anthropologie,  livres, films coups de coeur,  Témoignages

LE RETOUR DES HIRONDELLES

J’ai vu récemment au cinéma un film que je n’ai envie de recommander à personne tellement je me sens encore étreinte de tristesse… et pourtant, je dois lui rendre hommage puisqu’il parle exactement d’une Valeur Humaine Ajoutée.

Il montre ce que la tendresse peut créer, illuminer et faire pousser.
Mais il montre aussi -hélas, tout ce que l’inhumanité peut écraser.
Comment l’espérance peut être réduite en bouillie.


Il s’agit du film LE RETOUR DES HIRONDELLES, titre qui m’avait donné l’espoir d’une fin heureuse. Mais j’ai découvert depuis que le titre original du film se traduirait par « le retour à la poussière ». Et c’est effectivement ce qu’il se passe, désolée, cet article spoilera la fin… 

Une histoire simple

C’est l’histoire d’un mariage arrangé, entre deux êtres méprisés par leurs familles. Entre eux, la timidité fait place à l’affection. Alors qu’autour d’eux, la vie rurale se désagrège…

Dans son genre, le film n’est pas le plus extraordinaire que j’ai vu, j’avais largement préféré la poésie surréaliste de LA FEMME DES STEPPES, LE FLIC ET L’ŒUF. Il y a des longueurs, quelques incohérences, des trous dans l’histoire, mais aussi des plans magnifiques, et surtout , surtout de merveilleux moments de grâce, et trois protagonistes magiques : lui, elle et leur âne.

Cela commence avec la cruauté impitoyable de leur entourage, qui n’a qu’une hâte, :se débarrasser de ces deux êtres mis au ban. Lui, Youtie, est naïf, n’a jamais appris à lire, et se laisse exploiter par tout le monde. Il travaille comme valet de ferme au service de son frère… Elle, Guiying, a été tellement battue quand elle était petite qu’elle est handicapée, boiteuse, incontinente, avec un bras à moitié paralysé, et complètement tremblant.

Mais quand sa famille l’amène chez son promis, la femme voit comment Youtie caresse l’âne, sa douceur, quand il lui parle et surtout l’écoute. Et elle sait alors que ce sera un bon mariage…

Pourtant, leur vie est éprouvante. Ils sont paysans et travaillent à la main de petits champs près d’un désert de dunes. J’aurais cru que la Chine était déjà passée depuis longtemps à l’agriculture intensive, et je ne connais pas le fonctionnement là-bas. Mais ils sont exploités par des propriétaires prêts à tout, dans un système de fermage odieux, qui a dissuadé définitivement toute entraide. Jamais on ne verra le moindre de leurs voisins ou cousin venir leur donner un coup de main, ou même leur sourire.
En revanche, Youtie est corvéable à merci, déménageur pour son cousin alors qu’il ne sera pas invité à son mariage, et littéralement pompé de son sang dont le groupe sanguin est le seul à pouvoir réparer un homme qui ne viendra jamais le remercier.

Mais avec courage et ténacité, ils vont cultiver leur terre, et même construire leur maison après avoir était chassés de la première dans le cadre d’une politique d’urbanisation. Et surtout, surtout, ils vont s’aimer à leur manière, et inventer un monde à eux.

C’est là le charme à la fois immense et ténu du film : il tient à tous ces moments de grâce entre ces deux êtres. Comment Youtie accueille cette femme avec son handicap, ses terreurs installées depuis l’enfance, et comment il va s’occuper d’elle et l’apprivoiser. Il lave le linge souillé, la nourrit, l’emmène aux champs, et surtout invente des rituels de tendresse. Ils s’installent dans un temps qui n’appartient qu’à eux, bien plus vaste que la réalité Et Guiying reprend peu à peu confiance, peut dire à son compagnon des mots de gratitude, d’admiration, et le soutenir à son tour.

Et tous ces moments entre eux m’ont remplie de bonheur, ont ouvert mon cœur.

Sauf qu’un malheureux concours de circonstances fait tout déraper. Guiying meurt accidentellement, et Youtie ne lui survivra pas. Même s’il prend le temps de s’acquitter de toutes ses dettes et de rendre la liberté à son âne avant de suivre celle qui avait permis à la magie de la vie de se déployer.

Ce qui est douloureux c’est sans doute que ce film nous met face à la finitude de l’existence.
Mais le plus cruel est qu’il nous met aussi face à l’oubli.

Ceux qui les avaient méprisés, ceux qui avaient été jaloux aussi de ce qu’ils pressentaient entre ces deux êtres, ceux-là mêmes s’empressent de faire disparaître jusqu’à la dernière trace d’eux. Impitoyablement.  

Le frère fera démolir la maison construite avec amour. Et dans le cadre de la politique d’urbanisation de la région, il touchera plus d’argent que Youtie n’en aura jamais gagné.

Le souvenir de ces deux êtres, de leur magie, de ce qu’ils avaient créé est effacé. Et je crois bien que c’est cela dont je ne me remets pas.

humanité vs déshumanisation

Et je crois que c’est finalement cela qui me parle dans le film. Cette déshumanisation autour d’eux. Cette manière de nier ce qui rend l’être humain touchant et beau.
Peut-être parce que je lis en ce moment le livre de Corinne Pelluchon L’espérance ou la traversée de l’impossible, dont je me permets de citer ce passage :

… les conditions de travail et l’accélération qui obligent les êtres à remplir des tâches multiples et qui augmentent les cadences, comme le flux des échanges et la production, aliènent les personnes, étouffant leur créativité et leur spontanéité et les empêchant d’avoir un rapport signifiant au monde, aux autres, et à elles-mêmes. Inversement, ce vide intérieur et cette absence de résonance conduisent les êtres à se comporter comme des robots et à servir un système déshumanisant qui ne peut se maintenir que par l’accumulation des produits et la multiplication insensée des activités.

Oui, ce qui me rend triste c’est l’impossibilité de préserver ce qui me semble essentiel, qui justement ouvre mon cœur, illumine mes journées.
Ce que raconte le film c’est comment toute cette beauté disparaît car personne n’en porte la mémoire.

J’avais été marquée par cette réplique dans le film COCO qui est aussi un de mes films favoris, où un vieux squelette expliquait au héros :

Tu es définitivement mort quand plus personne sur terre ne se souvient de toi et de ton nom…

 Et c’est ce qui arrive à nos deux héros, ce que me raconte le film LE RETOUR DES HIRONDELLES.  

Mais j’ai envie de croire que la mémoire de ces moments d’humanité peut être maintenue par les œuvres d’art, les films, les livres, les tableaux, et les émotions que nous acceptons de ressentir en nous.

J’ai envie de croire que Youtie et Quiying, même s’ils sont des personnages de fiction, existent pour de vrai quelque part dans un champ de conscience. J’ai envie de croire que leur amour si particulier continue de nous illuminer. Tant que nous prenons le temps de lui rendre hommage et de lui ouvrir nos cœurs.

Parce que c’est comme cela que je peux être moins triste… 

Commentaires fermés sur LE RETOUR DES HIRONDELLES