Anecdotes et coup de gueule,  Economie

L’HUMANITE DANS NOS POUBELLES

Au travers de cet article je me propose de rendre compte des émotions qui m’ont traversée depuis le début de la grève des éboueurs. Et surtout j’essaie de comprendre comment cela se rapporte à ce que je peux espérer sur la manière dont nous pouvons vivre ensemble dans le monde actuel, dans une ville et jusque sur les mêmes trottoirs.

Je ne m’exprimerai donc pas ici sur la pertinence ou le timing d’une loi sur les retraites, sur l’utilisation du 49.3 et sur l’évolution de nos institutions et du fonctionnement de la démocratie : beaucoup de choses ont déjà été dites et le seront encore…

Comme la plupart des Parisiens, je n’ai pris conscience que les éboueurs s’étaient mis en grève qu’au bout de quelques jours, quand les poubelles se sont mises à déborder. Occasion de quelques conversations de proximité ponctuées de la question « vous savez ce qu’il se passe avec les poubelles » ? « Ah bon, c’est la grève pour les retraites, mais je croyais qu’ils bossaient seulement à mi-temps, les éboueurs ?! »…

L’envers du décor

Pour ma part, ce que j’ai ressenti en premier, c’est de la tristesse. L’espace public n’était plus fluide et dégagé, mais commençait à se joncher d’immondices divers. Une mise à jour de l’envers caché de la société. Les restes de nourriture, les emballages divers, trop de bouteilles, de boîtes, de trucs en plastiques, et de nombreux cartons d’emballages de biens « déliverés » par des plateformes, ou des objets cassés non recyclés, des vieux jouets abîmés…
J’avais l’impression de voir nos tripes à l’air. Tout ce dont nous avons besoin dans notre vie au quotidien.


Et j’ai réalisé à quel point cela me fait de la peine : nous pouvons savoir que nous consommons trop, parler de sobriété heureuse, promettre de réduire nos déchets, ou au moins de les trier… Et continuer d’agir et de nous comporter comme si de rien n’était. Tant que cela est ramassé chaque jour, que des services s’occupent de tout faire disparaître, pas la peine d’imaginer que cela se transforme en fumées toxiques ou que ces détritus vont joncher des terrains dans des pays lointains.

Bien à l’abri derrière nos services publics de ramassage des ordures, nous pouvons les oublier aussitôt jetées, et faire comme si cela n’existait pas… 

Est-ce que si on met le nez dans nos poubelles, nous allons prendre conscience, et pouvoir commencer à changer pour le mieux ?

Le nez dans les poubelles

Et justement au bout de quelques jours il devient difficile de marcher sur les trottoirs car les sacs s’amoncellent en même temps que la polémique enfle : faut-il soutenir les grévistes ou réquisitionner au nom de la santé publique ?

Image d’un papa berçant dans ses bras un bébé qui devait avoir tout juste quelques semaines, et se retrouvait exactement le nez à hauteur des poubelles. Le bon air de Paris.
Image des enfants qui vont à l’école en file indienne car il ne reste presque plus de place sur certains trottoirs. Pour l’instant, on laisse encore la priorité à la route, aux voitures et vélos.

Petit moment amusant quand j’entends une conversation de café, où un monsieur parfaitement obèse discute avec le serveur qui lui apporte un deuxième sandwich au saucisson à tremper dans son café-crème : « oui, vraiment, c’est un problème de santé publique ces poubelles comme ça, ils devraient faire quelque chose ». Je ne peux m’empêcher d’estimer que le ramassage des poubelles ne diminuera pas son risque cardiovasculaire et problème de cholestérol. Idem pour les reportages sur les rats, les interviews de sociétés de dératisation qui se multiplient dans les médias… Alors que je n’ai toujours pas vu le moindre rat, même tard le soir… Sans doute cela dépend des quartiers…

Mais pour ma part désolation devant cette multiplication des polémiques et discours biaisés pour occuper les médias, les réseaux sociaux. Clash sur Anne Hidalgo, fausses infos sur le sanitaire, ou sur la répartition entre les quartiers où les poubelles étaient encore ramassées et ceux où tout continuait de s’amonceler.

Oui, rien de nouveau, mais là encore tant d’énergie consacrée à des sujets d’importance dérisoire par rapport aux vrais enjeux qui devraient nous préoccuper pendant que la biodiversité s’effondre sur notre planète. Même le sujet des retraites disparaît au profit de considérations sans intérêt sur les dangers réels ou supposés que nous encourons en déambulant sur nos trottoirs parisiens… 

Chacun pour soi

Mais au fur et à mesure de l’amoncellement des poubelles, ce qui me désole de plus en plus c’est le comportement furtif de débrouille qui se met en place.
Gestion sauvage !…
Puisqu’il n’y a plus de service public effectif, j’en profite pour faire n’importe quoi.
Les règles du vivre ensemble volent en éclats.

Incroyable vision dans le 6ème arrondissement des sacs en papier ouverts qui s’amoncellent en piles, n’importe où sur les trottoirs, les pigeons qui les renversent et répandent joyeusement leur contenu partout. La nourriture qui pourrit sur le trottoir. Comme si ces habitants d’un des quartiers les plus bourgeois de Paris n’avaient pas les moyens d’acheter des sacs munis de solides fermetures ?!…

Les ouvriers qui déversent des détritus de chantier sur le trottoir sans les emmener dans des déchetteries comme la loi les y contraint normalement : au milieu du bazar, ça ne se verra pas !

Des des jouets, des vêtements, petits meubles et autres objets dont j’ai du mal à croire que leurs propriétaires n’auraient pas pu les garder quelques jours de plus dans un coin chez eux ?!…  Car nous pouvons bien imaginer que cette grève aura une fin un jour…

Mais non, une manière de dire « ce n’est pas mon problème » !
Je jette et puis j’oublie, c’est la vie, c’est la vie !

Et comble d’ironie, en même temps que cette grève des éboueurs, une campagne de grandes affiches publicitaires dans le métro pour inviter les gens à bien mettre leurs mégots, leurs chewin-gums dans les poubelles au lieu de les laisser sur le trottoir… 

Au moment même où les pauvres balayeurs se promènent impuissants dans les rues de la ville : ils ne sauraient même plus par où commencer.

Alors oui, cette grève me désole car elle montre à quel point il est facile de détruire une forme de « vivre ensemble » où chacun contribue à sa juste mesure à la propreté de l’espace public. Le vernis d’éducation et de solidarité a eu vite fait de voler en éclat, au profit de « je laisse ma merde n’importe où n’importe comment, chacun pour soi »…

Et ceci me désole profondément… 
Comme le fait d’être en colère contre mes congénères à cause de leur comportement.
Je me retrouve moi-même pleine d’émotions négatives, emmurée dans mon pessimisme

Et force est de constater que cela ne me fait pas du bien… 

Jusqu’à ma rencontre avec une héroïne anonyme du quotidien.

Gratitude pour un moment d’humanité

Jusqu’à ce moment où je remonte une rue du 12ème arrondissement où se trouve une résidence HLM assez conséquente.
Je vois une dame qui est manifestement la gardienne. Elle est en train de tirer un énorme sac poubelle de la taille d’un sac à gravats. Ce sac est lui-même rempli de sacs poubelles soigneusement fermés. Rien ne dépasse.
Et je découvre un alignement parfait de ces énormes sacs bien rangés les uns à côté des autres.
Et la dame, la toute petite dame, à peine plus haute que le grand sac à gravats, est en train d’en pousser un pour faire de la place au nouveau qu’elle vient déposer.
Nickel !
Aucun détritus sur le trottoir, pas la moindre miette.

Je suis émerveillée, et ne peux m’empêcher de m’extasier.
Je m’approche de la dame pour la féliciter de son courage et de sa réussite dans sa mission de tenir un environnement propre et avenant.
Je m’attends à ce qu’elle enchaine sur la complainte habituelle, dénigrant la Mairie de Paris ou taclant les éboueurs.

Pas du tout ! et même au contraire…

Tout doucement, elle dit

C’est là qu’on se rend compte à quel point c’est ingrat ce travail d’éboueur, les pauvres !

Cette femme n’en veut à personne. Elle est purement dans l’empathie. Je me frotte les oreilles, n’arrivant pas à y croire.

Et puis je constate que je vais beaucoup mieux.
Je sens des étincelles de lumière qui pétillent dans mon cœur

Je me sens plus légère.  
Grâce à cette petite dame, je peux de nouveau croire en l’humanité.
Profonde gratitude.