Anecdotes et coup de gueule,  Economie

Métro du lundi matin : de la haine au miracle?…

Un lundi matin dans le métro parisien, personne n’a envie d’être là, et pourtant il n’y a pas assez de place pour tout le monde.  Les gens se bousculent avec hargne. Quand va-t-on réaliser que cette personne qu’on insulte est un humain comme nous ?

Mon intention pour ce blog est de parler de ce qui m’émerveille dans l’humain, de ce qui me touche le cœur, des sourires, des regards, du soutien.

Mais force est de constater que ce projet est parfois soumis à rude épreuve. Par exemple ce lundi matin dans le métro, vers 8h sur la ligne 4.  Depuis le quai, j’ai choisi la porte qui me semble donner sur la partie de wagon la moins encombrée, et pourtant, je n’arrive pas à m’insérer. Une dame s’est plantée de toute sa largeur juste devant la porte, hiératique comme une statue. Elle fait mine de ne voir personne, et se raidit au moindre frôlement, fût-ce celui d’une sacoche, rendant ainsi l’accès des arrivants d’autant plus difficile. J’ai une pensée fugace pour Cerbère, le chien gardien des Enfers. La dame finit par pivoter légèrement pendant une demi-seconde, ce qui me permet de me glisser tant bien que mal.  Me voici à bord, et j’arrive à respirer, en mode survie. Je suis à l’arrière d’un wagon, là où on peut se tenir debout entre deux rangées de sièges perpendiculaires au sens des wagons. Les voyageurs se répartissent tant bien que mal, en s’efforçant de trouver une barre où ils pourront s’arrimer afin de se maintenir debout.

Je regarde autour de moi, et je suis effarée de ce que je vois.

Des visages fermés, ou même vides. On est lundi matin, et tout le monde a l’air épuisé et gris.

Des visages fermés, ou même vides. On est lundi matin, et tout le monde a l’air épuisé et gris. Il n’y a même pas un petit couple d’amoureux blottis l’un contre l’autre qui prolongeraient durant quelques stations l’intimité de leur nuit avant de se séparer pour la journée. Un de mes spectacles préférés qui m’attendrit dans le métro. Je suis frappée ce matin par l’absence des gens qui sont là. Je scrute différentes silhouettes et différents visages, en cherchant à deviner lequel anticipe un tant soit peu que sa journée va pouvoir être intéressante. Le moindre éclair dans un regard, une esquisse de sourire, quelque chose qui me confirmerait qu’il y a des êtres humains quelque part. En vain. Tout n’est que grisaille. Peut-être parce qu’il n’y a même pas la place pour sortir un livre qui viendrait réinsuffler de l’espace dans les pensées des voyageurs ? Est-ce parce que je suis hyper sensible ? Mon projet de blog pourrait me fragiliser, créer trop d’attentes pour moi, me rendre trop vulnérable.Tous ces êtres refermés sur eux-mêmes, crispés à défendre le trop petit bout d’espace provisoire indispensable pour survivre au trajet. Ils font comme s’ils n’étaient pas là, comme s’ils n’avaient rien à voir avec tous ces gens autour d’eux. Ils respirent le moins possible, trop occupés à nier qu’ils sont là, dans le métro, temps perdu obligé.

Au nom de quoi s’infliger tout ceci ? Où vont-ils ?

Passer leur journée à gagner péniblement leur vie pour enrichir encore plus quelques actionnaires milliardaires ? Au nom de quoi acceptons-nous de nous infliger tout ceci ? Toutes ces contraintes subies face auxquelles nous sommes écrasés, passifs, et où la seule échappatoire semble être de se réfugier dans son smartphone pour jouer à des trucs dont le nom termine par Cruche, ou faire défiler des images de rêve sur des réseaux sociaux qui favorisent l’effondrement climatique, en nous vendant le leurre du tourisme de masse mondialisé. Nous croyons être à l’autre bout du monde, ou pouvoir devenir aussi beaux que Kim Kardashian, ou même nous échapper dans un livre, et la réalité c’est que nous sommes là entassés dans le métro, près de 3 heures dans chaque journée pour certains d’entre nous.

Je cherche en vain un vrai visage. Des traits humains dans lesquels je pourrais ressentir la respiration, une vibration, un frémissement. Mais tout le monde est recroquevillé.

Pourtant la réalité, c’est que nous sommes rassemblés là, et que donc nous pourrions peut-être être ensemble ?

Au nom de quoi ?
Justement, le weekend précédent, des tas de gens se sont rassemblés pour aller signer un registre à la mémoire de Jacques Chirac qui vient de mourir. Et d’autres ont passé des heures dans la cour des Invalides pour aller se recueillir devant sa dépouille. Ils ont attendu, ils ont piétiné des heures, et pourtant, ils n’ont pas rechigné, parce que cette fois, ils étaient ensemble ? Ils avaient quelque chose à célébrer, ils accomplissaient ensemble un rite. N’y a-t-il donc plus que la mort qui peut nous rassembler ? N’avons-nous rien à célébrer dans nos vies ? J’essaie en vain d’imaginer ce qui pourrait rassembler les gens autour de moi, dans ce wagon de métro ?

Nouvel arrêt à une station.

Une dame genre bourgeoisie du 16ème essaie de rentrer. La dame hiératique l’entrave elle aussi. La dame proteste, souffle, et s’insère, et tente plus ou moins de remettre bon ordre à tout ceci. Elle dépasse quelqu’un qui l’empêchait d’accéder à l’espace entre les deux rangées de bout de wagon. Quel échec pour elle d’être dans le métro à cette heure-ci. Elle se recoiffe un peu, avec un regard de désapprobation pour toute cette mauvaise organisation. C’est vrai que certains ne font pas beaucoup d’efforts pour optimiser la gestion de l’espace disponible : devant la porte, tout le monde est très serré, et si on s’appliquait, on pourrait mieux utiliser la place un peu plus loin de la porte. Je me tourne vers la dame hiératique. C’est une femme métis noire, et quand je regarde son visage magnifique, je ne peux m’empêcher de me dire qu’elle pourrait être sympa, qu’elle a l’air moderne, ouverte, intelligente. Mais il y a presque eu une escarmouche avec la bourgeoise quand celle-ci est entrée.  Confrontation de classe, mémoire historique encore prégnante ? Je m’efforce de continuer à respirer. Dans quelques stations, je vais bientôt sortir.

J’essaie de réfléchir à une pratique VHA qui conviendrait au métro ? Si on s’amusait à chanter ensemble ? Ce métro détestable pourrait devenir un temple où nos énergies s’uniraient ? Mais je n’ose pas entamer la moindre chanson. Pourtant, ce serait tellement bien ?!…

Mais voici que la belle dame métis tend son bras et essaie de faire un signe à la femme assise au milieu de la banquette près de laquelle nous sommes. Une jeune musulmane voilée, qui ne réagit pas, ou plus exactement se recroqueville encore un peu plus, craignant ce qui risque de lui tomber dessus. La belle Noire agite encore le bras. Elle semble appeler au secours, je ne sais pas ce qui lui arrive. Mais c’est la bourgeoise du 16ème qui comprend la première, et se tourne vers elle. Cerbère meurt de chaud, nous sommes en ce jour où on ne sait pas s’il va faire froid ou encore chaud, et presque tous, nous nous sommes un peu trop couverts. Et toute cette tension et cette agressivité font monter la température. Cerbère a besoin qu’on ouvre le petit vasistas pour amener un peu d’air frais. C’est Madame Bleu marine qui a compris en premier, et qui se fait un plaisir de le faire. Elle est contente.

Les deux femmes croisent leur regard autrement. Une femme vient d’entendre la supplication d’une autre. Il n’y a plus de classe, plus de place qui manque. Il y a eu un mouvement de sympathie, une femme qui est soulagée d’avoir été comprise, deux femmes qui se sont reconnues, et de la reconnaissance pour celle qui a eu un geste pour soulager sa compagne de voyage. Quelque chose se détend dans le wagon, ou peut-être juste à l’intérieur de moi.

Une onde d’humanité. Gratitude.

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