Anecdotes et coup de gueule,  Témoignages

Françoise et Richard

Ils sont comme nous, mais n’ont pas la même expérience que nous de la vie au quotidien.

Parce qu’ils sont comme nous, mais…
n’ont pas la même couleur de peau.

Oui, j’ai choisi de consacrer ce blog à rendre compte de précieux moments d’humanité !
Ces moments d’humanité qui ne sont pas comptabilisés dans la machine économique, mais si précieux à mes yeux.
Reconnaître et conter ces moments, qui ne comptent pas dans la course au profit.

Ces moments où on se rencontre, on se soucie, on se reconnaît.
On se sourit, et pour la plupart des gens, c’est une sensation délicieuse, peut-être liée à nos neurones miroirs, à l’ocytocine que nous sécrétons.

Et j’aime tout particulièrement raconter des histoires qui finissent bien, avec cet instant où la rencontre a lieu, et triomphe du déterminisme économique ou algorithmique.

J’aimerais tellement que ce soit si simple !

Et oui, ce blog peut être un endroit tout à fait favorable pour célébrer le commerce de proximité, et en l’occurrence pour aujourd’hui, les marchés, et plus précisément le marché de C. tout à côté de Paris et du Bois de Vincennes.

J’y vais en général dès l’ouverture, quand il y a encore peu de monde, car il y a alors l’espace pour élargir un peu la conversation, se présenter, raconter ce qu’on aime ou ce qu’on fait, écouter des nouvelles de la famille.
Et cela me donne l’impression d’être quelqu’un de spécial et de précieux !

J’aime les histoires qui finissent bien.
J’aime que ma copine des Légumes de Julien me parle du cheval de sa fille, et me donne des pommes et des carottes de deuxième choix pour le cours d’équitation de ma propre fille ! Ou me raconte des petits bouts d’histoire de son métier d’assistante sociale parce qu’elle sait que je suis scénariste.

J’aime tout particulièrement l’accueil joyeux et chaleureux de Françoise et Richard, ce couple de traiteurs Réunionnais.
J’aime leurs produits délicieux, carrefour entre les goûts créoles, indiens, africains. Je vous recommande absolument leurs samossas, servis avec délicatesse par Françoise, ainsi que leur cabri au curry, ou leur « sauce crevette », racontés avec gourmandise par Richard. Et au fil des semaines, des mois et donc depuis quelques années maintenant, nous avons développé une relation sympathique.

On parle de « commerce » ? qui veut dire faire du commerce mais aussi être en relation.

J’aime les entendre parler avec fierté et amour du parcours de leurs enfants. Comment leur grand fils a réussi tout de suite Science Po et va devenir un haut fonctionnaire de l’état français. Quelques nouvelles de ses stages en province. Combien ils se sont souciés de leur fille qui avait raté la PACES avant de se découvrir une vocation pour la chimie des médicaments. J’aime les avoir croisés quelques fois ces grands enfants quand ils viennent donner un coup de main à leurs parents.

J’aime tellement les histoires qui finissent bien.

Je remercie Richard de m’avoir fredonné la chanson « Blandine » qui est devenue une chanson fétiche et porte-bonheur pour moi. Je le remercie de m’avoir fait découvrir le maloya, et Zanmari Barré, de m’avoir raconté qu’il avait été chanteur lui-même.

Je remercie Françoise et Richard de s’être souciés des étapes du parcours de notre fille. Avec un intérêt sincère. Je les remercie de prendre régulièrement de nos nouvelles, des nouvelles de notre santé, de nos projets, de nos boulots. Avec un intérêt sincère.

J’aime les histoires qui finissent bien.

Et merci aussi à Françoise et Richard de faire des pots de purée de piments spécialement pour mon mari qui adore ça. Parfumé au gingembre ! Et je suis tellement contente pour eux quand ils nous racontent qu’ils ont pu trouver une maison dans laquelle il y a eu la place pour installer leur laboratoire où ils concoctent tous leurs plats délicieux, au lieu d’avoir à faire de longs aller-retours en voiture chaque jour !

J’aime les histoires qui finissent bien.


J’aime tellement les histoires qui finissent bien.

Sauf que celle-ci vient de connaître un rebondissement qui me fend le cœur.

Françoise et Richard vont bientôt quitter le marché de C., abandonner le stand qu’ils avaient pris soin d’aménager au fil du temps. Une vitrine réfrigérée d’un côté, de l’autre un coin pour faire les samossas et accras au fur et à mesure de la matinée, tout chaud !

Car j’ai oublié de vous le dire, bien sûr, Françoise et Richard ne sont pas complètement blancs. Ils ont la peau sombre, reflet d’origines métissées, entre Océan Indien, Afrique, Europe. Je ne sais pas exactement : je n’ai jamais pensé à leur demander.

J’avais toujours tout simplement imaginé qu’ils étaient comme les autres !

D’autant que j’ai vu souvent Richard plaisanter avec le charcutier dans l’allée d’à côté, Françoise papoter avec une des marchandes de légumes.

Peut-être parce que j’aime trop les histoires qui finissent bien ?

Mais cette semaine Richard a prévenu mon mari qu’ils ne viendraient plus.
Qu’il n’en peut plus. Que la semaine dernière il en est quasiment venu aux mains avec le marchand de fleurs (ben oui, de fleurs !!!!) ainsi qu’un des marchands de légumes.

Parce que depuis 9 ans qu’il est là, il entend toujours les mêmes plaisanteries douteuses à chaque fois qu’il s’installe à 6 heures du matin.

Où on le traite de Black Mamba, de Congolais, de « gens des îles », de « Gens lents »,  de Pakpak, de camelots qui font de la camelote, de Panou-panou, pour leur rappeler que
« vous n’êtes pas chez vous ici ».

paroles entendues pendant l’installation du marché de C.

Où il demande d’arrêter, et on lui demande pourquoi il est si susceptible?! Allons, je ne faisais que plaisanter!

Car après tout c’est quand même vrai qu’il est noir, enfin même pas tout à fait noir, mais quand même !

Oui, ce n’est peut-être pas anodin que ça bascule maintenant. Le confinement et la crise sanitaire ont permis des rapprochements, mais aussi généré des tensions, du stress, et donc exacerbé des postures.

Mais j’avoue que je n’avais pas envisagé ce rebondissement. Je tombe des nues, très naïvement !

J’aime trop les histoires qui finissent bien.

Et je croyais à tort que celle-ci était déjà terminée : Françoise et Richard sont des gens bien, comme vous et moi, point final et voilà !

Mais non, il y a de nouveaux personnages qui sont entrés dans cette histoire, et qui l’ont pourrie. Je m’efforce de ne pas juger ces intrus et leur comportement. Peut-être que ce sont des connards, ou des gens bien aussi. Mais en tout cas, il y a un truc qu’ils n’ont pas su comprendre.

Cela me met en colère, cela me désole.

Je ne sais pas quoi faire. Quelque chose est gâché sans retour en arrière possible. Et pourtant j’aurais pu m’en douter! Des derniers jours, le journal Le Monde a consacré deux articles à ce genre d’agressions de « racisme ordinaire« . Des blagues qui se veulent plus drôles que méchantes mais qui blessent profondément… Et entretiennent et nourrissent un « racisme inconscient mais ravageur« .

L’histoire n’est pas tout à fait finie. Françoise et Richard n’ont pas ce problème sur d’autres marchés où ils ont aussi un stand. Et j’espère que nous resterons en relation, que nous continuerons d’avoir de leurs nouvelles, et de leur donner des nôtres, même s’il nous faudra « commercer » autrement.

Leur sourire joyeux et chaleureux me manque déjà.

Et je ne sais pas comment terminer cette histoire, pour lui trouver une vertu consolante. Le minimum que je puisse faire est d’exprimer ce que j’ai sur le coeur.

J’aime tellement les histoires qui finissent bien.

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